Destricted 120 Def

Pornoscopie


Sitôt que se trouvent évoquées les relations entre l’art et la pornographie reviennent les mêmes images. L’Olympia de Manet, L’Origine du Monde de Courbet, les dessins de Masson, les poupées de Bellmer, les Moules mâliques ou l’Etant donné de Duchamp, les bacchanales du dernier Picasso, ou plus près de nous, les photos de Wolfgang Tillmans, de Nan Goldin ou d’Araki. Une histoire essentiellement limitée aux dix-neuvième et vingtième siècles, siècles de l’avant-garde, siècle de la provocation, et à quelques images explicites, comme disent les Américains. Pourtant, les relations entre art et pornographie sont beaucoup plus anciennes et beaucoup plus subtiles. Sans remonter aux amphores grecques ou aux fresques de Pompéi et à leurs scènes zoophiles, qui finalement ressortissent du même régime manifeste, il suffit d’avoir l’œil sur des détails apparemment anodins pour découvrir tout un monde d’érotisme s’ouvrir dans des œuvres apparemment insoupçonnables.


Un exemple. Aurez-vous noté que le manteau de ces vierges à l’enfant qu’on trouve sculptées dans toutes les églises, ou peintes par beaucoup de maîtres flamands, a systématiquement une forme ogivale, forme que reprennent les fenêtres des églises, qu’il est fermé au cou par un bouton doré, qu’il s’ouvre autour des épaules, tombe droit, et qu’il est gainé de velours rouge ? Les historiens d’art s’accordent depuis toujours à reconnaître que cette forme vulvaire représente un vagin. Et pour cause. Ces tableaux, ces sculptures, ont vocation à représenter la naissance du divin enfant. Ainsi celui-ci figure-t-il la plupart du temps au milieu de la robe ouverte, comme s’il en sortait, parfois même portant déjà la blessure de Lucain au côté droit, qui saigne, tel le sang de l’accouchement, ou celui du cordon coupé. A la fois hyper-pornographiques, voire sacrilèges, pour qui sait les lire, ces représentations sont en même temps furtives et hyper-pudiques. Le sexe de la vierge est là, devant nos yeux, mais codé dans le manteau, crypté dans la robe.

Un autre exemple, tout aussi insoupçonnable d’entretenir un quelconque rapport avec l’érotisme, a fortiori avec le sexe : les natures mortes. Rien de plus apparemment banal et inoffensif, rien de plus quotidien, qu’une table garnie de fruits, ou qu’une raie clouée au mur. Il y a pourtant, dans le coin, à gauche, un citron pelé, d’où perle une goutte de jus. Et au milieu un couteau, dirigé vers lui, dont le manche dépasse de la table, et la lame, entrante, donne de la profondeur au tableau. Ce couteau est un pénis qui entre dans l’image, et ce citron, un sexe, qui l’attend.

Précisément, il faut comprendre que l’art et la pornographie entretiennent des relations beaucoup plus fondamentales que ne le laisserait penser la simple représentation du sexe dans un tableau. C’est que l’œil est lui-même ce couteau. Il pénètre l’image comme un phallus pénètre un sexe. Regarder une image, c’est lui faire l’amour, c’est entrer en elle, c’est la pénétrer, fût-ce seulement du regard. Œdipe, s’il se crève les yeux, c’est qu’il se châtre après avoir commis l’irréparable inceste. De tout temps, dans toutes les cultures, l’œil, le mauvais œil, est un sexe. Aussi bien, la seule technique de la perspective, inventée au seizième siècle, donne-t-elle lieu à une forme de pornographie, ou devrait-on dire de pornoscopie, qui précède de beaucoup toutes les vidéos X.

Mais les films explicitement pornographiques ne l’ignorent pas. Une actrice qui suce son partenaire regarde droit dans la caméra, droit dans nos yeux, comme pour appeler les nôtres, nos yeux, à se faire sucer en lieu et place de l’acteur. Ainsi vont les hommes que d’un monde à l’autre, d’une époque à l’autre, certaines images qui se donnent pour innocentes trafiquent du cul en contrebande, tandis que d’autres, qui se donnent pour ce qu’elles sont, du X de bas étage, resservent en douce les plus vieilles recettes des plus grands maîtres anciens.

Mark Alizart


>>> Photos du film