RFI
Son âge et ses ennuis de santé ne semblent pas entamer
son énergie créatrice. «Il
y a des gens qui ont dépassé mon âge et qui sont restés
excessivement jeunes »
affirme-t-il dans un français parfaitement fluide,
émaillé de roulements de . « C’est
le cas de Manoel de Oliveira. Il a quelque années de
plus que moi, et je l’ai rencontré à Venise. Il a
failli me casser la main et il avait une allure
merveilleuse »
continue Youssef Chahine, admiratif, qui déclare
vouloir suivre le modèle de son homologue portugais qui
continue de livrer un film par an, à 99 ans !
« Finalement,
remarque le maestro égyptien l’œil brillant de
malice,
81 ans ce n’est pas très vieux, je peux résister
encore dix ans, j’espère ».
Nous aussi on l’espère, tant il continue à peser, à
compter, dans le paysage cinématographique égyptien et
plus largement arabe.
Depuis ses débuts au cinéma en 1950 et en une
quarantaine de longs métrages, Youssef Chahine a imposé
des thèmes sociaux et politiques au cinéma de son pays,
sans jamais oublier les recettes du cinéma populaire
proche-oriental : mélodrames et comédies
musicales. Mais comme mâtiné de néo-réalisme, à l’image
du cinéma italien des années 1950 qui a beaucoup
inspiré l’étudiant égyptien en cinéma qu’il était.
« On
a essayé de comprendre et même d’imiter le cinéma
italien. Et il y avait les grands, les très grands
comme Rossellini. Il est même venu chez moi et m’a
appris à faire des macaronis au thym. C’était le
professeur de tout le monde,
se rappelle-t-il en livrant cette anecdote culinaire et
intime,
et il parlait tout le temps de sa
Suédoise
(Ingrid Bergman, NDLR)
avec un peu de dédain mais on sentait qu’il
l’aimait ! »
Aussi, qu’il filme les paysans dans
Fils du Nil,
les dockers dans
Eaux Noires,
qu’il dénonce l’intégrisme et magnifie la tolérance
dans
le Destin,
Youssef Chahine ne cesse de prendre position, dénoncer
la censure et l’intégrisme. Au risque de se retrouver
en prison. C’est le cas en 1984 pour avoir diffusé
un film interdit par la censure. Encore aujourd’hui, il
ne manque jamais une occasion de manifester dans la
rue. « Moi
aussi je mange quelques coups de bâton, mais en général
je sais m’arranger et m’esquiver. Mais il y a toujours
les polices spéciales, ce que j’appelle moi des
milices »
dénonce cet éternel opposant loin d’être devenu frileux
ou conservateur en prenant de l’âge.
Youssef Chahine s’en prend même au président français
Nicolas Sarkozy qu’il accuse de se
« prendre
pour Dieu »
et d’avoir fait charger des policiers en nombre pour
encadrer des manifestations de jeunes quand il était
ministre de l’Intérieur !
Son éducation mixte, entre un père libanais et une mère
égyptienne, ses études dans un environnement catholique
puis en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, ont sans nul
doute façonné ce libre penseur. Surtout sa ville
natale, Alexandrie, cité tolérante et cosmopolite,
irrigue son œuvre et sa vie. Son travail, pour engagé
qu’il soit, est souvent voire toujours
autobiographique. C’est le cas de
Gare centrale,
dans lequel il joue, reconnaissable, déjà, à ce grain
de beauté au milieu du front et à ses immenses lunettes
en écailles. Le film, échec commercial à sa sortie en
Egypte en 1958, le révèle sur la scène internationale.
Vingt ans plus, c’est
Alexandrie, pourquoi,
un retour sur sa jeunesse en Egypte, qui lui apporte la
consécration : un Ours d’argent et le Grand prix
du jury au festival de Berlin. Et puis encore
le Destin
qui lui vaut, en 1997, de remporter la palme du
Cinquantenaire au festival de Cannes.
Youssef Chahine met donc beaucoup de lui-même dans ses
films. Ses passions, ses excès aussi de fumeur opéré à
cœur ouvert mais toujours photographié cigarette aux
lèvres. Réalisateur généreux, toujours à l’écoute, il
n’hésite pas à passer du temps avec les spectateurs de
ses films ou ses étudiants de l’Institut du cinéma du
Caire, où il réside. En guise d’examen infligé à ses
élèves, le maître égyptien leur pose ces
questions : «Comment
tu penses ? Qu’est-ce que tu penses ? Et
est-ce que tu te bats pour ce que tu
penses ?».
Youssef Chahine est enfin connu aussi pour avoir révélé
des acteurs : il donne son premier rôle à Omar
Sharif en 1954 dans
Ciel d’enfer
ou fait revenir Dalida en Egypte dans
Le sixième jour.
Avec
le Chaos,
son dernier film projeté à Venise en compétition, ce
contestataire que l’on surnomme affectueusement
« Jo » braque cette fois ses projecteurs sur
les habitants d’un quartier modeste du Caire, Choubra,
qui, de magouilles en débrouilles, tentent de survivre.
Au-delà, c’est l’arbitraire du régime égyptien, la
corruption et les répressions policières que Youssef
Chahine fustige avec vigueur. Encore et toujours.