L’attachante chronique d’un quartier du Caire, où la farce glisse habilement au cauchemar.

Le sens du pittoresque pourrait être l’étalon distinguant les cinéastes faussement innocents des vrais innocents, ceux qui échafaudent des univers bariolés dont la vitalité outrageuse n’est qu’un volontarisme forcené avec pour mot d’ordre « Soyons gais », et ceux chez qui ce même univers bariolé est une manière profonde de brasser des matériaux hétéroclites et d’en relever le piquant, par goût du spectacle te de la morale.
Chahine appartient certainement à la catégorie des cinéastes faisant des films au pittoresque innocent. Personnages cantonnés à des types (mères passionnées, fils prodigues, tendres jeunes filles, méchants policiers), paroles à la cantonnade, imprécations et serments, sens de la répartie, affrontements francs, femmes fortes et hommes faibles, musulmans et catholiques, Etat corrompu et citoyens apeurés, bureaucratie qui manque à sa tâche et missionnaires musulmans prompts à prendre la place de l’Etat providence : autant de composantes qui racontent la vie d’un quartier du Caire sous la coupe d’un tyranneau policier qui laisse libre cours à sa brutalité et qui s’en prend par dépit à la jeune fille de ses rêves.
Le personnage du tyranneau, très bien interprété par Khaled Saleh, est la plus grande qualité du film, lorsque la fable bonhomme, haute en couleurs, glisse sans crier gare vers le cauchemar, et lorsqu’un brutalité réellement impressionnante dérange les règles plaisantes de la fable pittoresque. Manque peut-être une collision fructueuse entre la clarté de la farce et la complexité politique de l’Egypte actuelle, qui aurait actualisé un peu plus durement les lignes de force.


Axelle Ropert