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Le Chaos maîtrisé de Chahine à la Mostra

Reprenant l’argument d’un amour impossible pour dresser un portrait sans concession de l’Egypte contemporaine, le Chaos mérite d’être récompensé. Avec cet opus remarquable et courageux, l’auteur de Djamila l’Algérienne a fait là œuvre de salut public

Youssef Chahine, l’auteur de Djamila l’Algérienne, est présent en compétition à la 64ème édition de la Mostra de Venise avec Chaos, film coréalisé par Khaled Youssef, et coproduit par sa société Misr International et 3B Productions de l’Algérien Rachid Bouchareb.
Presque cinquante ans après Gare Centrale (1958) -Kennawi, le crieur de journaux simplet et boiteux de la gare centrale du Caire, est amoureux de la belle vendeuse de limonade, Hanouna, qui se refuse à lui-, le cinéaste égyptien Youssef Chahine reprend l’argument d’un amour impossible pour nous dresser un portrait sans concession de l’Egypte contemporaine.
Au Caire, Hatem, un policier véreux et violent convoite une voisine Faten, une jeune fille secrètement amoureuse de Hassan, substitut du procureur. Hatem est obsédé par Faten, mais celle-ci lui tient tête. 
Il décide de la posséder coûte que coûte. Cette histoire d’amour contrarié est donc prétexte pour dépeindre une société en déliquescence. La police est corrompue, Hatem rançonne le petit peuple pour un permis de conduire, un permis de construire, une pièce d’identité, une ouverture de restaurant, une libération de prisonnier… et tout cela avec la complicité de ses supérieurs. 
Il maintient aussi dans le secret des étudiants arrêtés au cours d’une manif et que le substitut du procureur a fait libérer. Cachés dans les sous-sols du commissariat, ils sont chaque jour torturés. 
Le policier éconduit se tourne alors vers la religion pour demander un talisman afin de séduire sa belle. Il est éconduit par les musulmans, puis par les soufis, puis par les coptes. 
Il enlève alors Faten et la viole sauvagement. Grâce à l’obstination et à l’intégrité de Hassan, qui est enfin tombé amoureux d’elle, Hatem sera arrêté. La justice reste donc possible si les citoyens résistent à la peur et à la corruption.
En arrière-fond aussi, un gouvernement qui craint la contestation et qui réprime violemment toute manifestation. Des candidats aux élections qui prônent le mensonge en mettant leurs affiches électorales jusque dans la cour des écoles. 
Un enseignement sclérosé qui ne permet pas aux jeunes étudiants de se former correctement (la mère de Hassan est directrice d’un lycée et se heurte à l’incompétence du ministère). Malgré tout cela, et ses 81 ans, Youssef Chahine reste optimiste. La fin est heureuse. Hassan va épouser Faten, en dépit de l’outrage qu’elle a subi. Ils restent solidaires dans leur amour et les coupables sont arrêtés. 
Cette parabole sur le pouvoir et la dictature est agréablement mise en scène et magnifiquement interprétée par une pléiade d’acteurs : Khaled Saleh, Mena Shalaby, Youssef El Sherif, Hala Sedky, Hala Fakher, Amr Abdel Guelil, Ahmed Fouad Selim.
Dernier film en lice pour le Lion d’or, le Chaos mérite d’être récompensé. Chahine a fait là œuvre de salut public avec cet opus remarquable et courageux.
Dominique Lorraine