Chaleureux, fantaisiste et poétique

Une comédie naïve et colorée profondément inscrite dans la chair de l’Egypte contemporaine


Qui pourrait croire à voir ce film d’une étonnante fraîcheur (de ton, d’allure et de discours), que son auteur a 81 ans ? Car si Youssef Chahine, malade, a dû se faire aider pour mener à bien Le Chaos, ce sont bien sa verve, son sens du spectacle et de l’histoire, son romantisme mâtiné de politique, son goût pour la dérision envers les puissants, son empathie envers le petit peuple, son art populaire (au sens noble, quasi bollywoodien, du terme) qui s’expriment dans cette comédie naïve et colorée profondément inscrite dans la chair de l’Egypte contemporaine.
Une histoire d’amour (entre un beau procureur et une pure jeune fille) sert de prétexte à une dénonciation en règle d’un pays en proie à la corruption (politique) et à l’arbitraire (policier), d’un pays où les riches vivent à l’occidentale tandis que les quartiers populaires perpétuent les codes traditionnels, d’un pays gangrené par le cynisme te l’individualisme.
Dans son chaleureux portrait d’une Egypte dont le salut viendrait du peuple et non des élites, on remarque toutefois deux traits saillants qui ne manqueront pas d’étonner : l’absence totale de référence à la pression islamiste sur la société égyptienne et la part importante accordée à des femmes qui, bien plus que les hommes, incarnent ici la générosité et la modernité. Au-delà des maladresses techniques (ah, les transparences lors des scènes en voiture), des facilités d’un scénario par trop manichéen (les jeunes premiers sont immaculés, le méchant policier a tous les vices) et d’un discours politique parfois ambivalent,
Le Chaos fait montre d’une foi réjouissante dans le cinéma et l’humanité.

Didier Roth-Bettoni