Sur
Choron, dernière : interview
de Martin, coréalisateur
–
Apparemment, produire
Choron, dernière
n’a pas été chose aisée…
– En effet :
Choron, dernière
n’a été préacheté par aucune chaîne de télévision
française. Or un film qui n’a pas de pré-achat télé a
fort peu de chances de sortir en salles. C’est pourquoi
on a fait tourner
Choron, dernière
dans les festivals en attendant de trouver l’argent
pour le sortir. Et l’écho qu’il a rencontré lors des
projections est au-delà de toutes nos espérances. Ce
qui nous fait plaisir avec Pierre, c’est quand on voit
des jeunes venir nous dire qu’en leur faisant découvrir
Choron – qu’ils ne connaissent généralement pas –, on
leur fait prendre conscience qu’ils vivent dans un
monde rempli d’interdits et de morale dégoulinante. La
liberté de ton de Choron les fait bander. Moins les
chaînes de télé, apparemment. Choron fait encore peur,
même mort…
–
Il n’y a plus de presse satirique en France, comment
expliques-tu cela ?
– Tout simplement parce que c’est une marchandise à
emmerdements. Quand on a sorti
Zoo
(1) […], on s’est mangé un tas de procès. Les sommes
demandées par la justice étaient astronomiques au
regard des ventes du journal. Résultat, trop de fric a
servi à payer les amendes et
Zoo
a coulé. La censure aujourd’hui ne se fait plus par
l’interdiction du journal, comme cela a été le cas
pour
Hara-Kiri,
mais par le fric. Pour preuve, l’éditeur de
Zoo
a fini avec un contrôle fiscal. […]
–
Choron a énormément influencé un tas d’artistes et est
injustement sous-estimé… Est-ce pour remettre les
pendules à l’heure que tu as réalisé ce film avec
Pierre Carles ?
– Attention, on ne prend pas Choron pour un dieu. Notre
but n’est pas de le hisser sur un piédestal, car on
montre aussi ses mauvais côtés dans le film.
Finalement, c’est Choron luimême qui emporte l’adhésion
du
public. Parce qu’il est naturellement drôle, touchant,
même. Il m’entendrait dire ça, il me balancerait son
verre de champagne à la gueule en me traitant de
connard. Il détestait qu’on dise qu’il était quelqu’un
de bien.
Le film est aussi là pour rappeler que Choron n’était
pas, comme certains aiment à le penser, qu’un
provocateur. Choron a été l’un des plus grands patrons
de presse français. En publiant
Hara-Kiri
et
Charlie Hebdo,
il a donné un écho national à une nouvelle forme
d’humour dont tout le monde s’inspire encore
aujourd’hui. […] Sans lui, pas de Nuls, pas de
Guignols, pas de Groland. À Groland, on revendique
complètement sa filiation, on en est même fiers. […]
–
Connais-tu les réactions de Val, Cabu et Wolinski suite
à la sortie de ton film ?
– Le film n’étant pas sorti, il n’y a pas de réaction.
Mais on les attend et on est prêt.
–
Wolinski y passe pour un être pitoyable n’ayant aucune
reconnaissance envers celui qui l’a fait connaître.
Cabu est complètement à la botte de Val. Quant à ce
dernier, je n’en parle même pas… Quels sont tes
sentiments face à tant d’ingratitude envers Choron
?
– Je vois surtout trois humoristes qui sont devenus
terriblement tristes et qui cherchent à gommer Choron
de l’histoire de
Charlie Hebdo,
comme on gommait les gens gênants sur les photos
staliniennes… Je peux comprendreque tout n’ait pas été
rose lorsque Choron était gestionnaire et que certaines
rancoeurs aient subsisté. Mais franchement, si le prof
n’avait pas balancé ses couilles dans le potage pour
publier leurs dessins et croire en leur talent,
seraient-ils devenus les caricaturistes qu’ils sont
aujourd’hui ? Bien que le niveau ait beaucoup baissé.
Les dessins de Wolinski dans
Le Journal du Dimanche
et dans
Paris Match
sont nullissimes ! Je ne te parle même pas des sommes
astronomiques que Choron a dû trouver pour payer les
procès engendrés par les unes et les visuels photos
de
Hara-Kiri.
C’est simple, quand Choron est mort, il était endetté
jusqu’au cou. Pendant ce temps, Cabu, Val et Wolinski
buvaient leur bière chez Lipp. […] Cavanna démonte dans
le film la théorie défendue par Cabu et Wolinski, qui
veut que ce soit Cavanna qui ait tout inventé
dans
Charlie Hebdo.
Il remet Choron à sa juste place. La place d’un vrai
créateur. […]
–
Que penses-tu de la nouvelle version de
Charlie Hebdo
avec Val à sa tête ?
– Franchement, même en étant un ancien d’Indo, Choron
n’aurait jamais eu l’indécence d’encourager la guerre
du Kosovo ou la guerre du Golfe comme l’a fait le
nouveau
Charlie.
Val a fait d’un journal de voyous un journal de
moralistes. À partir du moment où tu te positionnes sur
l’échiquier politique, tu es dans l’obligation de
démontrer que le camp adverse a tort. Donc, tu dois
passer pour quelqu’un d’intelligent, qui a le sens de
l’analyse, de l’àpropos. Et tu deviens chiant, comme
Val. […]
–
Quels sont les meilleurs souvenirs que tu garderas de
tes moments passés avec le professeur
?
– Tous, sans exception ! J’adorais aller rue des Trois
Portes dans son bureau, j’étais toujours bien reçu. Un
petit coup de blanc et hop ! On bossait pour
Zoo
ou le bouquin
Tout s’éclaire !
(2) Avec le prof, j’étais sûr de me marrer trois heures
non-stop. Je me rappelle d’un soir où il a mis tout le
monde à la porte vers 21 heures. En nous raccompagnant
au métro, il a croisé sur le chemin un groupe de
musiciens roumains. Ni une ni deux, il est parti
acheter du champagne dans une épicerie voisine et nous
a réinvités chez lui. Les musiciens ont joué et se sont
retrouvés avec la casquette du prof remplie de billets
de 50 balles. Ils sont ressortis complètement bourrés
et ont gagné en deux heures ce qu’ils devaient
difficilement gagner en une semaine.
– Aura-t-on un jour la chance de voir diffuser ce film
sur Canal+ malgré l’altercation houleuse de Pierre
Carles et De Greef en septembre 2006, lors du festival
du film grolandais ?
– Le jour où Canal mettra du pognon dans un film de
Pierre Carles, il faudra faire officialiser le miracle
par le Vatican ! Pierre s’est carbonisé à Canal avec
son premier film
Pas vu, pas pris.
[…] De Greef reprochait à Pierre d’avoir piégé des
stars de la télé en leur posant des questions
dérangeantes sur le rapport médias-pouvoir. Ce qui est
marrant, c’est qu’à la même époque, l’intelligentsia
française encensait Michael Moore, dont on connaît
aujourd’hui les méthodes de travail carrément
douteuses. […] Mais Michael Moore critique le système
américain. Ça ne mange pas de pain, et ça fait plaisir
à tout le monde. Par contre, si tu oses critiquer le
système français, tu te retrouves très vite sur le banc
de touche. […]
–
Lors d’une émission de télé, l’écrivain Alain Soral
comparait Choron à Dieudonné et affirmait que si le
prof était encore vivant aujourd’hui, il soutiendrait
certainement Le Pen ! Que répondrais-tu à Soral
?
–
D’abord que c’est un gros tas de merde ! Ensuite qu’il
faut être méchamment culotté pour se substituer à
Choron et prétendre savoir ce qu’il aurait fait pendant
les élections. D’ailleurs il n’aurait rien fait. Choron
considérait la classe politique comme un troupeau
d’ânes et je l’ai toujours entendu conchier Le Pen.
Mais c’est marrant que tu parles de Dieudonné. Il y a
sur Dailymotion l’intégrale d’une émission TV diffusée
il y a quelques années, dans laquelle Marc-Édouard Nabe
raille l’antifascisme de Dieudonné (qui à l’époque se
présentait à Dreux contre le Front national). Regarde
comment a fini Dieudonné. En train de serrer la main du
borgne après les élections présidentielles ! Sauf que
tu ne verras jamais Nabe, que des bien-pensants comme
Gérard Miller traitent de fasciste, dans une fête des
Bleu Blanc Rouge. C’est un peu comme pour Choron. Les
valeurs sont inversées. Les ordures ne sont pas
toujours celles qu’on croit.
Interview réalisée le 12.1.08. par Marc Bihan, parue
sur le site Internet www.lemague.net
(1)
Bimestriel satirique édité par les éditions Cogerev de
1998 à 2000 (14 numéros).
(2)
Tout S’éclaire !,
pensées philosophiques du professeur Choron,
recueillies par Martin, éditions Le Dilettante, 2001.
FILMOGRAPHIE
Pierre
Carles :
Pas
vu pas pris (1998),
La
sociologie est un sport de combat
(2001),
Enfin
pris ? (2002),
Attention
danger travail (avec
Christophe Coello et Stéphane Goxe, 2003),
Ni
vieux, ni traîtres (avec
Georges Minangoy, 2006), Volem
rien foutre al païs (avec
C. Coello et S. Goxe, 2007), Bages-Sigean
à la rame (avec
Philippe Lespinasse, 2007).
Martin
:
Locked-in
syndrome (avec
Emmanuel Caussé, 2001),
Lettres
de la mer Rouge (avec
E. Caussé, 2006),
No
pasaran (avec
E. Caussé, 2008).